Accéder au contenu principal

Une histoire musicale d’Haïti, de la méringue au konpa

Une histoire musicale d’Haïti, de la méringue au konpa

Claude Dauphin signe une fresque monumentale sur les pratiques d’hier et d’aujourd’hui
Par Yves Bernard - Collaborateur
Crédit photo: Pedro Ruiz, Le Devoir












Selon l’éditeur Mémoire d’encrier, le livre Histoire du style musical d’Haïti que Claude Dauphin a récemment publié est « l’ouvrage le plus considérable qui ait jamais été écrit sur la musique haïtienne et sur la diversité de ses pratiques ». On y croit volontiers tellement le spectre des musiques et le cadre historique présentés y sont amples et bien documentés.
 
« J’ai voulu relever le défi de donner une idée, au moins de synthèse, de toutes les sphères qui me sont connues. Je crois qu’il est tout à fait impossible d’être totalement exhaustif, mais on peut quand même voir les différents créneaux où l’on pratique la musique », explique Claude Dauphin d’entrée de jeu.
 
Vers 1789, la colonie de Saint-Domingue, qui deviendra Haïti, compte environ 500 000 Africains de naissance ou de descendance, 40 000 Européens et 30 000 affranchis qui coexistent en toute méfiance sous l’impitoyable décret du code noir. En dépit de cela apparaîtra un syncrétisme culturel, dont la langue créole de même que la musique mélodieuse et légèrement syncopée, la danse, la parure et le mode de vie en général deviendront l’expression d’une nation nouvelle.
 
Mais avant l’avènement de ce monde nouveau, le vaudou permet aux esclaves de différentes ethnies africaines de se fédérer. Claude Dauphin raconte : « Le vaudou s’est constitué à partir de différentes tribus et nations africaines qui se sont retrouvées en Haïti et qui ne pouvaient se comprendre. Qu’avaient-elles en commun ? Des pratiques et des rites religieux. On a compris qu’en faisant des cérémonies ensemble, les gens arrivaient à créer des formes d’entente. Ainsi, dans une cérémonie en 1791, les différentes nations africaines ont cru entendre un appel à se libérer. Ce fut le point de départ de l’insurrection contre l’esclavage qui va amener l’indépendance en 1804. »
 
Le pays nouvellement créé se cherche un emblème. La méringue finira par jouer ce rôle : « Avec le vaudou, ça devient le marqueur identitaire pendant une centaine d’années. Cette danse nationale, qui est à l’origine du konpa, a représenté depuis le milieu du XIXe siècle un lieu de fierté. Il y a une méringue de danse populaire, une méringue carnavalesque, une de concert. Tout le monde se reconnaît dans ces rythmes qui ne sont pas sacrés », précise le musicologue.
 
De leur côté, les compositeurs font rayonner une école de traditions musicales classiques depuis la fin du XIXe siècle. Avec Cuba, Haïti forme un tandem significatif à ce chapitre dans les Caraïbes et à partir de la fin des années 1970, Montréal deviendra même un haut lieu de cette forme d’expression. Claude Dauphin décrit le phénomène : « Alors que le pays était encore sous l’effet de la dictature de Jean-Claude Duvalier, une élite haïtienne s’est retrouvée ici, à Montréal, est devenu le centre de cette renaissance. Haïti a repris un peu de souffle et, aujourd’hui, on fait des concerts de compositeurs haïtiens en Haïti sur le modèle de ce qu’on a fait ici à Montréal. »
 
Le konpa au milieu des années 1950 : un genre à l’allure vive, intrépide et sans fioriture, contrairement au style gracieux et langoureux de la méringue. Durant un demi-siècle, le konpa devient le genre national par excellence, mais selon l’auteur, il traverse une crise d’identité sans précédent devant l’éclatement et la mondialisation des genres populaires : « J’ai voulu en conclusion attirer l’attention sur cette diversité qui est de notre époque. Un pays comme Haïti en plein coeur de l’Amérique ne peut pas dresser des frontières pour se mettre à l’abri de quoi ? Et d’ailleurs, la culture qui est celle des Haïtiens a-t-elle besoin tant que ça d’être protégée ? Est-ce qu’elle n’a pas des racines assez profondes pour exister ou continuer de se développer et se fusionner au monde ? »
 
Musicologue, théoricien et historien des pédagogies musicales, Claude Dauphin est professeur associé à l’UQAM. Il signe un ouvrage qui porte sur la musique haïtienne et la diversité de ses pratiques. Entre l’essai et le guide de référence, il aborde plusieurs phénomènes, de la période coloniale de Saint-Domingue à nos jours, en traitant de la musique du vaudou, des instruments coutumiers de la musique paysanne, du conte chanté, de la musique populaire urbaine, de la musique officielle et de la musique classique ou savante. Au long du parcours, l’auteur explique les principaux courants et met en perspective les grands marqueurs identitaires du pays en analysant leur sens dans l’histoire. Tous les genres sont touchés, de la méringue au konpa et à l’éclatement contemporain. Il s’agit d’une oeuvre capitale pour qui s’intéresse à Haïti et la richesse de sa culture.

Commentaires

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Mélanie de Languichatte Débordus

Ce article est tiré du journal culturel haïtien Ticket Magazine publié à Port-au-Prince Ginette M. Beaubrun, nom artiste  Mélanie Ah qu'il nous manque ce temps où les productions locales occupaient les programmations de nos chaînes de télé ! Le temps de « La vi nan bouk », « Gabel », « Les Gens de Bien », « Pyram agent 812 ». Le temps de ce cher Maître Languichatte Débordus et compagnie ! Dans le petit monde de ce grand humoriste, on se souvient de Mélanie Petifa Delhomme, la plus célèbre de nos servantes. Ginette Mompremier Beaubrun de son vrai nom Mélanie a été initiée au théâtre par son conjoint Théodore Beaubrun (Languichatte) dans les années 70. Mère de trois enfants (Ralph, Emmanuel, et Christian) dont deux d'entre eux poursuivent actuellement leurs études en France, elle est aussi danseuse. En octobre 1980, de concert avec le metteur en scène Ginette crée son propre personnage pour la série « Languichatte au 20eme siècle ». Ainsi naquit le personnage de Mélani...

Figures de la critique haïtienne

Félix Morisseau-Leroy, «Anpenpan» (1912-1998) De g. à d.: Félix Morisseau-Leroy, René Piquion, Roussan Camille et Jean F. Brierre C'est une vieille et passionnante et mauvaise querelle, et d'autant plus pernicieuse que plus obsédante : il serait certain, absolument certain, intéressant et académique que créateurs et critiques ne peuvent s'accorder, ne peuvent cohabiter en un seul être. La question n'a rien perdu de son intérêt méthodologique et de son actualité. Dans cette querelle passablement secondaire, l'oeuvre de Félix Morriseau-Leroy a valeur de modèle. Batailleur, bourré d'idéal, progressiste engagé, novateur en matière de théâtre, Félix Morisseau-Leroy émerge dans la littérature comme l'un des pères du renouveau théâtral en Haïti. Son ingéniosité est vive, touchante, toujours nette, n'excluant ni la tendresse ni le lyrisme. Mais l'influence éminente qu'il exerce aujourd'hui n'est fondée que sur ses poèmes célèbres (« '...
La nouvelle génération se souviendra longtemps encore de Joubert Charles Par Colas Le P.D.-G de Nouvel Jenerasyon Records a été aussi emporté par le cruel séisme du 12 janvier qui a fait plus de 217 000 morts, des centaines de milliers de blessés et de sans-abri Joubert Charles, l’un des plus grands promoteurs de la musique de danse haïtienne, le Compas direct, est mort dans le séisme. Il était le P.D.-G de la compagnie Nouvèl Jenerasyon Records et manager du groupe "Kreyòl La" et représentant de quelques groupes Compas en diaspora, dont Carimi et Harmonik. [Photo Colas / Image Nouvelle] Ont été aussi emportés vers l’au-delà par ce séisme d’une cruauté sans borne qui a frappé Haïti le 12 janvier denier plusieurs autres musiciens : Ronald Rodrigue , chanteur de charme, était maestro d’une chorale religieuse. Il travaillait, juste avant sa mort, à la Banque de la République d’Haïti (BRH). Il participait, dans l’après-midi du mardi 12 janvier, à une réunion à ’Eg...