Haïti: A quoi peuvent servir la culture et les arts en période post-sismique ?
La réponse peut se résumer ainsi : il en va d'abord de la conception même qu'on se fait de la culture et des arts. En revanche, pour ce qui concerne les questions qui fâchent, toujours présentes dans un pays en chute libre, il semble paradoxal de lutter pour la paix avec des artistes au moment même où la violence et le banditisme se font virulents. On fut tenté, le jeudi 2 mars 2006, de faire l'économie d'une controverse pour ne pas «désespérer Cité Soleil», en l'occurrence pour la paix et la réconciliation nationale. Dans une ambiance de jubilation, des milliers de riverains avaient accueilli la star Wyclef Jean, accompagné d'une kyrielle d'artistes populaires : Reynaldo et Roberto Martino de T-Vice, David Dupoux et Michael Benjamin dit Mika, Gracia Delva, Ti Pinèz, Top Adlerman, Black Alex et Buju, R. Bass de Tru Rasta, Pouchon Duverger, Shabba et Roro de Djakout Mizik. Sous l'oeil des agents de la Minustah, qui s'étaient cependant tenus à l'écart, les très recherchés chefs de gang Amaral Duclona et Evens ainsi connu, avaient répondu à l'appel à la réconciliation de Wyclef Jean sur le kiosque de Cité Soleil.
On connaît la suite. Réaction indignée des uns et malaise mitigée des autres. On ne peut pas tout mélanger. On ne peut pas tout occulter. C'est l'exemple même du comportement aberrant et autodestructeur : il favorise lui-même ce qu'il combattait. On ne peut pas tout faire avec l'art. Ce fut tout le sens des reproches indignés adressés aux promoteurs de cette initiative qui n'eût guère porté à conséquences et n'eût pas justifié de si aigres polémiques, si la culture et les arts - et notamment leurs illustres praticiens - n'avaient pas fait de leur bonne foi apaisante la cible inévitable d'une société meurtrie, divisée, polluée.
Aujourd'hui, il y a une situation tout autant dramatique. La culture et les arts sous les bâches ou puellas et les tentes pour déstresser tant d'enfants, de jeunes et de moins jeunes sinistrés perdus, esseulés, traumatisés ? La culture peut en effet nous aider à repousser les forces du chaos, tout en envisageant la possibilité d'une autre organisation de notre vie et de nos actions. J'en suis convaincu. Face à des questions cruciales - urgentes - comme la faim, la sécurité, le logement, l'accompagnement psychologique et la scolarisation, il ne faut pas errer entre la résignation, la colère tapageuse et l'égoïsme. Le vrai questionnement, celui qui n'est pas politicien ou démagogique mais s'affronte à l'essentiel, renvoie à l'inexistence chez nous d'une politique nationale d'enseignement artistique dans nos écoles, alors que nous évoquons tapageusement notre culture comme notre seule et dernière denrée exportable, ''notre force''. En pratique, il y a les écoles placées dans des abris provisoires et sous les tentes et les misérables camps d'hébergement : dans les deux cas, l'emploi de la culture et des arts est différent forcément. Dans un cas, il s'agit de l'heureuse nécessité d'intégrer, par-delà l'urgence et les gesticulations cosmétiques, l'enseignement artistique dans les programmes existants et dans l'autre cas, d'un apprentissage artistique et ludique limité à un groupe d'âge. Conjoncture oblige ?
Ce n'est pas une idée vieux jeu que de mettre la culture et les arts - sans oublier les sports - à la portée des victimes du séisme, au service d'une population en détresse, à la rescousse des réfugiés dans les camps. Ce sont des droits : l'accès à la culture, l'enseignement artistique, appliqués dans l'intérêt du plus grand nombre. Une utopie ? Tout le problème est de les exporter à toutes fins utiles: thérapie, savoir, détente ou loisir, emploi, apaisement, etc. Pareil projet ne va pas sans conséquence, sans efforts collectifs. Il faut l'installer tout entier dans la longue durée et l'institutionnaliser.
Pierre-Raymond DUMAS
Cell : 3557-9628 / 3903-8505
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