Le collectif des musiciens haïtiens en panne de solidarité
Sinistrés, nos musiciens. Donc, improductifs? Pas vraiment. Mais en ce qui a trait à la réalisation d'un vidéoclip collectif genre « We are the world», d'une chanson haïtienne de compassion et d'espérance produite par un collectf de musiciens de l'intérieur et de la diaspora, l'attente a trop duré...
Plus d'une trentaine de chansons sont en rotation sur les ondes des radios, selon un opérateur culturel, et d'autres projets mijotent dans les studios. La chanson « One Nation....One Voice » du groupe T-Vice et « Leve kanpe de Jean Roosevelt», qui figurent parmi les premières initiatives entreprises en Haïti, sont diffusées sur les ondes des radios de la capitale et des provinces pour redonner courage aux sinistrés.
« C'est comme un mauvais rêve, mais je ne rêve pas. C'est comme un cinéma qui n'a pas de trucage.» Ces quelques phrases du tube « Chanson pour Haïti » de Marc Onana, écrit par Isabelle Therrien, caractérisent l'étonnement de chaque Haïtien au moment du tremblement de terre. Divers autres groupes musicaux haïtiens se sont inspirés spontanément du drame qui a ravagé le pays peuplé de plusieurs centaines de milliers de personnes sans-abri. Il y a un peu de tout et de rien. Que l'on pense à la qualité de certains textes stéréotypés. Que l'on écoute leur rythme ou leur mélodie sans originalité. Mais leurs messages d'espérance et de solidarité sont légitimes et touchants. La plupart de nos célébrités (Jean Roosevelt, Mika, Jakito, Renette Désir, Joël Lorquet) ont réussi leur production en un temps record!
A cet égard, Jakito, toujours tout feu tout flamme, demeure un exemple flamboyant de cette sensibilité patriotique contagieuse à un moment si difficile pour le pays. Un exemple à suivre, en dépit de tant de frustrations et d'échecs.
Jacques Sauveur Jean (jackito) |
Entouré de Tifane, Belo, Ti Joe Zenny, Mika, lui, est un jeune loup en plein succès, disponible, bourré de talents. On peut s'exprimer dans les mêmes termes pour exalter l'attitude de Joël Lorquet dont le talent et la générosité poignante nous ont toujours séduits.
Tous ces artistes et groupes musicaux, guidés avant tout par la nécessité d'affiner leur propre image, ont opté pour une solution personnelle. L'impossibilité de déboucher sur une concertation collective leur a sans doute poussé dans cette direction. La difficulté de trouver des sponsors et un producteur aguerri explique aussi cet état de fait. Seuls les grands ténors de la musique haïtienne - en particulier du compas - peuvent certainement marquer les esprits avec un hit «anti-sismique»!... Puisque la musique évangélique ( Didi Jérémie, Maggie Blanchard, Julien Janvier, Adonaï, YES, Rémy Lochard, Soeur Jeannette Goussaint, etc.) a pris chez nous, au cours de ces dix dernières années, une vitesse fulgurante, on attend aussi une réponse collective dans ce registre de plus en plus incontournable.
Renette Désir |
Jean Roosevelt Jean |
Parmi les chansons recensées, on peut citer: « Leve kanpe » de Janjan Roosevelt, « Yon ti souf pou Ayiti » de Mika Ben & Friends, « Tout moun dakò » de Mystère divin, « Leve Ayiti » de Kreyòl la, « Ayiti gen yon lòt chans » de B. Sisters & Friends, « Peyim nan kristal » de Laure Zafra, « Dezolasyon » de Kanpèch, « Gade yon tranbleman » (atis kafou pou Ayiti), « Konsolasyon » de Zatrap Omaj, « Viktwa pou Ayiti » de K-bare hip-hop, « Ann rekonstrwil » de Chery Evins, « Libre » et « Mizè » de Star Jah, « Séisme en Haïti » d'un collectif d'artistes, « Soven » du groupe Estera mizik, « Yon ti chante pou yo » de Renette Désir, « Pienso en ti de » Lambi Ginen, « Hommage à Haiti » de Sazan, , « Ayiti Solidarite » de Jakito, « Pitye pou Ayiti» de Joël Lorquet, « Hope for Ayiti » de Wyclef Jean, pour ne citer que celles-là. Dans les prochains mois, d'autres productions vont surgir. La période carnavalesque et les festivités de Noël s'y prêtent en particulier. Comme toujours...
Dadou Pasquet |
On se rappelle qu'à la chute du président Jean-Bertrand Aristide en 2004, un collectif de musiciens et de chanteurs vedettes avait réalisé, sous la direction du grand producteur haïtien Fred Paul, un vidéoclip (Bay Ayiti yon chans) pour prêcher l'union, la paix et la solidarité entre tous les Haïtiens. On retrouvait sur le même podium Gazman Couleur, Réginald Cangé, Pipo, Dadou Pasquet, Gina Dupervil, Eddy François, Assad Francoeur, etc. Nos artistes tenaient à guider la population désorientée et polarisée à travers leur discours consensuel et apaisant. Aujourd'hui, ce grand élan rassembleur de solidarité a fait défaut jusqu'à présent. Où est passé le président du Compas? Alan Cavé, Jah Nesta, Orchestre Tropicana, Orchestre Septentrional, Boukman Eksperyans, Carimi, Dadou Pasquet, Zenglen, Dadou Pasquet, Djakout Mizik, Azor, RAM et compagnie se sont effacés face à tant de détresse. Jusqu'à aujourd'hui ? Pourtant des projets avaient été annoncés et même esquissés. Comment expliquer un tel immobilisme?
Gazman Pierre |
Ce problème de solidarité entre nos musiciens est profond. Collectif, il concerne tous les autres secteurs de la vie nationale. Incapables de se rassembler pour produire un méga-tube relatif au séisme du 12 janvier 2010, ils traduisent avant tout des mécanismes de fonctionnement archaïques, routiniers, rebelles à toute forme d'esprit associatif. C'est une situation de sauve-qui-peut individuel, contraire à toute réussite collective. Il y a là un grand défi pour tout le secteur culturel haïtien, dans ses diverses composantes. A l'intérieur comme à l'extérieur!
A tous les échelons et dans tous les domaines, l'égoïsme est notre grand mal, notre ennemi juré. La formation de nouvelles formations musicales se succède inexorablement à leur éclatement spectaculaire. Le plus récent divorce est celui de Nu Look-Gasman. Si nous sommes impuissants et divisés en cette période désastreuse, si nos artistes qui, naturellement, devraient jouer leur rôle d'éclaireurs ne sont pas à la hauteur, de quoi demain sera-t-il fait?
Pierre-Raymond DUMAS
Cell : 3557-9628 / 3903-8505
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